YONSK

L’Espace est dans mon travail une donnée primitive et spontanée, comme une base sur laquelle, plus tard, performeur.euse.s et/ou objets prendront vie. L’Espace s’impose comme une valeur concrète nécessaire et structurante, qui s’inspire souvent d’un quotidien prosaïque. Décor planté, l’action peut naître et mystifier, ritualiser ou travestir l’espace. Le ou les corps présents s’en emparent : alors l’espace peut, à son tour, prendre chair. L’Espace n’y est jamais figé, il est nomade.

Mon travail trouve également sa place dans la, les matières végétales et organiques qui interviennent comme symboles forts de notre état d’être composé de chair et de viscères. J’aime à mêler le sang, les sucs, la lymphe, le vin, les larmes, la pulpe, les pépins, la salive etc. et la peau des fruits et des corps. Les sécrétions naturelles des corps organiques sont pour moi, symboles puissants d’abondance et de vie. C’est pourquoi je trouve aux natures mortes une grande éloquence. Je les aime et les approuve pour leur exigence plastique appétissante, leurs couleurs précises et irrémédiables, je les aime pour ce qu’elles figent des objets/denrées, pourtant périssables, elles sont comme une cristallisation de vie dans le temps. Je charge mes fleurs, fruits, légumes et viandes d’une dimension spirituelle et/ou symbolique profonde. J’aime à penser les objets chorégraphiques comme des natures mortes mais en vie, des enclaves intemporelles qui  surgissent à nouveau dans le présent.

J’appréhende le temps à la fois comme progressif, évolutif, suspendu et répétitif. Dans mon travail, le rapport au temps est souvent cyclique. La figure du cercle s’impose fréquemment d’elle-même dans le temps, l’espace, les corps. Surgit alors dans cette circularité un mouvement vertigineux dont le rythme accéléré se soumet à une mécanique incontrôlable. Le cycle de vie devient alors manifestation de mort d’une part et manifestation d’espoir, d’autre part. Bien que cette répétition entraîne parfois une sorte d’aliénation, perdure l’image reine d’un corps qui persévère, qui défie ses limites même devant l’épuisement. Ma danse s’ancre, je crois, dans une profonde ambiguïté temporelle, celle d’une rengaine à la fois vaine et emplie d’espoir. « Yo soy la desintegración », Journal intime de Frida Kahlo, F.Kahlo. Mon rapport au temps est aussi parfois décadent, autrement dit fortement lié au processus organique de décomposition et de déchéance. Le corps humain me passionne en tant qu’il est une denrée finissable, voué à la décomposition, qui s’acharne, comme s’il tentait de vaincre le temps lui-même. Quelle est la nature de ce temps : ce gouffre, ce laps, ce plein, ce vide de l’embryon à la tombe ?

Il y a aussi le temps du passé, de l’avant, de l’ancestral. Mes recherches se déroulent systématiquement dans la quête d’états primaires, archaïques, originels. Je cherche perpétuellement à accéder à la racine, à la déterrer, comme pour pénétrer des abysses telluriques, à l'affût d’une forme de spiritualité qui émanerait du corps. J’ai constamment le désir de revenir aux choses qui ont précédé mon existence, à la recherche d’une réponse ou d’une rencontre. Mais paradoxalement, j’aime rendre état du présent, de notre réel sociétal, patriarcal et machiste.  

Chair mouvante, chaire engagée. Pulsions, compulsions, répétitions, transgressions, contraintes et explosions sont les maîtres mots de mon projet de création chorégraphique. Tout cela converge avec une volonté de déconstruction d’une notion de de limite, que je cherche à dépasser et à inscrire Il s’agit de mener le geste à sa fin. Le mouvement perpétuel est à mes yeux une valeur essentielle d’expérimentation. Les corps des interprètes projettent, expulsent le monde du dedans : rêves, peurs, angoisses, désirs. J’attends des corps, y compris du mien, qu’ils disent l’immédiat, le violent, l’acharnement, la perversité, la vanité, entre héroïsme et fatalisme.